Les cinémas nyonnais par Robert Cerruti - histoire locale, histoire ouverte
C’est en juillet 2011 que les trois premiers volets de l’étude de Robert Cerruti sur les cinémas de Nyon étaient mis en ligne dans Documents de cinéma, sous la forme voulue par l'auteur. Aujourd’hui, nous sommes particulièrement heureux de marquer l’achèvement de ce long travail en donnant le chapitre consacré au Capitole. Inauguré le 3 novembre 1933, fait de deux salles depuis avril 1990, c’est le dernier des cinémas de Nyon encore en activité et celui qui occupe évidemment la part principale de cette chronique, qui s’arrête en 2013.
Robert Cerruti, Les cinémas de Nyon des origines à nos jours, 2015, 326 p., pdf.
- Le National, 1912-1930
- Le Moderne / Le Central / Le Faubourg, 1913 – 1937
- Le Phare / Le Rex, 1928 – 1984
- Le Capitole, 1933- (et annexes)
L'auteur
Depuis plusieurs années, Robert Cerruti consacre une partie de son temps à l’histoire des cinémas nyonnais. Collectionneur d’appareils du « pré-cinéma » et de format sub-standard, membre actif du Club des cinéastes amateurs de Nyon (Club Ciné Vidéo Nyon), dont il est aujourd’hui le président d’honneur, il s’est plié à la discipline du chercheur, attentif à ses sources, à l’affût de documents inédits, soucieux de recueillir aussi le témoignage des acteurs ou des témoins encore vivants, puisant aussi dans sa mémoire d’enfant de la ville.
Son souci de transmission ne s’arrête pas à ces travaux. En 1988, il fut à l’origine du dépôt au Musée de la communication (Berne) d’un précieux lot de bélinographes stocké au Centre émetteur de Prangins, où il travailla de 1962 à 1991, ainsi que des plans et des photos du premier émetteur installé à Prangins en 1929 et mis au service de la Société des Nations par la Confédération.
Aux Archives municipales de Nyon, un fonds Cerruti réunit les documents qu’il récolte sur l’histoire de la ville.
Ces dernières années, la disparition progressive des cinéastes amateurs ayant pratiqué la pellicule et l’intérêt nouveau manifesté à l’égard de leur production l’ont entraîné à sensibiliser ses collègues de Nyon et de Genève à la préservation. On lui doit le dépôt auprès du Lichtspiel Bern des films de Mlle Alix Thomas (Nyon), une des rares femmes cinéastes amateurs, sœur de Max-Marc Thomas, critique cinématographique de La Suisse (les cahiers de ce dernier sont conservés aux Archives d’Etat de Genève ; un fonds plus familial et vaudois se trouve à la Réserve précieuse de la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne).
Le travail de Robert Cerruti est aussi et surtout un acte de reconnaissance émue envers sa ville et l’expression de sa passion pour un 7ème art apprécié de manière enthousiaste. Il présente une dimension nostalgique, qui se traduit parfois par l’aveu d’un regret et que manifestent surtout, tout au long de ces pages, la minutie dans le détail et l’acharnement mis à retrouver tel document ou à obtenir tel témoignage.
Ayant suivi son travail depuis plusieurs années, nous sommes heureux de publier aujourd’hui dans Documents de cinéma cette histoire inédite des salles de Nyon.
Robert Cerruti est décédé à Nyon, le 18 mai 2019, le jour de ses 89 ans.
Les cinémas de Nyon : questions d’échelle
En général, l’historien local des salles de cinéma se concentre sur trois moments - la création du lieu, ses transformations majeures, sa fermeture – et il se nourrit principalement de deux sources, la presse régionale et les archives communales, les complétant, la chance aidant, par des archives privées, familiales le plus souvent.
Robert Cerruti a donné à son travail, Les cinémas de Nyon des origines à nos jours, le tour d’une chronique en veillant aussi à relater ce qui se déroule entre ces temps forts. Ce choix l’entraîne à prêter attention au répertoire des salles, à ses caractéristiques et à sa réception, quand celle-ci est perceptible à travers le filtre de la presse.
Il s’est montré soucieux, en outre, d’insérer sa description dans un cadre plus vaste, là où cet élargissement était pertinent. Sur un plan local, cette perspective lui permet de mettre en évidence les diverses manières dont les cinémas constituent des lieux de sociabilité dans une petite ville de la taille de Nyon et le rôle que joue la personnalité des exploitants.
Pour une compréhension plus large du travail de ces derniers, il a puisé aux richesses du Fonds de l’Association cinématographique suisse romande (ACSR) conservé par la Cinémathèque suisse et en allant aux Archives cantonales vaudoises.
La première source lui a fourni des informations corporatives importantes, puisque toute salle de cinéma devait être affiliée à l’ACSR pour obtenir les films importés par les distributeurs et que l’association fonctionnait également comme un organe régulateur du marché dès qu’un projet de salle se manifestait dans une localité.
Aux Archives cantonales, il a trouvé de précieuses données administratives, l’attribution de la patente d’exploitation et la réglementation du spectacle cinématographique incombant légalement au Canton et plus particulièrement au Département de justice et police.
Au fil de ses recherches, les liens noués avec Nadia Roch, responsable des collections papier de la Cinémathèque suisse, et la collaboration amicale établie avec l’auteur de cette présentation, ont entraîné Robert Cerruti à inclure dans son travail des références et des liens dont l’absence restreint trop souvent l’horizon de l’historien amateur et réduit grandement la valeur d’usage de ses efforts.
Ainsi l’importante intervention publique de Robert Jaquillard, commandant de la Police cantonale dans le débat sur l’influence du cinéma sur la jeunesse (1928), la projection de Quand les fruits mûrissent, film commandité par le conseiller fédéral Jean-Marie Musy dans le cadre des votations sur le régime des alcools en avril 1930 (en mars 1939, au Capitole, les Nyonnais verront, sur invitation personnelle, La peste rouge, commandité par le même Musy, à titre privé cette fois), ou encore les parallèles établis avec la situation des salles ailleurs dans le canton sont autant d’éléments qui ouvrent la chronique à une dimension plus large, tout en contextualisant certains phénomènes locaux.
Signalons à ce propos que Robert Cerruti exploite un document comparatif crucial sur l’état du parc des salles vaudois en 1916, soit un peu moins de dix ans après leur apparition dans le paysage urbain, une enquête du Canton intitulée Inspection des cinématographes permanents (Archives cantonales vaudoises, K VII b 19/23).
Une place dans le tableau
Cette étude nyonnaise prend place aujourd’hui parmi les données établies pour d’autres localités, Lausanne ayant été étudié par Langer (1989), Vevey-Montreux par von Kaenel (2002), alors que pour les années 1930-45 les travaux de Gianni Haver décrivent les conditions d’exercice du spectacle cinématographique en particulier dans sa relation avec la censure cantonale et, durant les années de guerre, avec sa réception lausannoise.
L’étude de Cerruti vient étoffer une historiographie sans pareille dans d’autres cantons, comme en témoigne la bibliographie que nous avons établie pour accompagner cette édition électronique, une historiographie qui demeure toutefois très éclatée, faute d’une approche unifiante et d’où la dimension économique – il s’agit d’un commerce tout de même ! – est, hélas, largement absente.
Roland Cosandey, juillet 2011 / juillet 2015 / juin 2019