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Jean-Baptiste Delèze: la fin de la censure cinématographique vaudoise (1967-1980)

La fin du contrôle des films pour les adultes, Vaud 1980.

- Jean-Baptiste Delèze, Une censure entre moralisme et pragmatisme. La fin du contrôle des films à l’égard des adultes dans le canton de Vaud (1967-1980), Faculté des lettres de l'Université de Fribourg, Chaire d’histoire des sociétés modernes et contemporaines, Fribourg, été 2010, mémoire de master, 232 p. PDF.

 

La censure a fait l’objet d’un dossier de Documents de cinéma consacré au cas le plus fameux d’une interdiction prononcée à l’échelle fédérale, celle des Sentiers de la gloire de Stanley Kubrick, prohibé d’écran de décembre 1957 à février 1970.
www.cinematheque.ch/i/documents-de-cinema/complement-de-programme/les-sentiers-de-la-gloire-interdit/
Mais en Suisse, le contrôle du spectacle cinématographique est ordinairement dévolu aux cantons. Du temps de la censure préventive, les mesures légales respectives différaient en général peu dans la forme, instituant un contrôle des films et de la publicité à l’égard les adultes (autorisation, autorisation avec coupures, interdiction) et soumettant les mineurs à un régime de protection particulier (accès au cinéma en séance spéciale, restriction de l’âge d’admission).
Par contre, leur application, qui s’attachait largement au même répertoire de films présents sur le marché national, traduisait des sensibilités particulières, comme en témoigne, entre autres, la chronologie de l’abolition des commissions consultatives instaurées par l’instance cantonale dont relevaient surveillance et décision, le Département de justice et police (DJP): Neuchâtel en 1966, Argovie en 1970, Bâle Ville, Lucerne, Soleure, Zurich en 1971, Zoug en 1972, Saint-Gall en 1976, Genève en 1980 et Vaud la même année, mais selon un processus différent.

C’est le cas vaudois que Jean-Baptiste Delèze a étudié en se fondant sur le très riche fonds du DJP conservé aux Archives cantonales vaudoises (ACV). Défendu en 2010, son mémoire consacré aux dernières années de la censure cinématographique vaudoise faisait partie des travaux voués, malgré leur apport et leur qualité, à cette zone grise de la production universitaire qui ne les rend pas totalement inaccessible, mais en limite certainement l’usage et la portée. A ce titre, il figurait depuis longtemps parmi les contributions que Documents de cinéma juge nécessaire de rendre disponibles sur l’internet.

La publication récente de la monographie d’Henri Roth consacrée à la commission de contrôle des films du Canton de Genève est venu conférer une certaine actualité au projet [1]. Donner à lire le travail de Delèze est une façon de souligner qu’une approche comme celle de Roth, fondée sur la condamnation explicite de la censure et les aprioris qu’entraîne une telle position, si riches que soient les archives sur lesquelles elle s’appuie, réduit d’autant la compréhension et l’interprétation d’un phénomène social et politique aussi complexe que l’exercice de la censure cinématographique. Si la démarche de Delèze permet de tirer cette leçon, c’est qu’elle donne les moyens de réfléchir à la méthode et aux problématiques soulevées par une question qui relève, partant du cinéma, de l’histoire culturelle et de l’histoire des mentalités.
En documentant, grâce aux procès-verbaux des délibérations de la commission, un choix significatif de décisions, ce travail permet aussi de se départir de certaines idées reçues, qui ne sont en général que la reconduction des positions anti-censure défendues à l’époque. Il établit aussi la possibilité de comparer le cas particulier du canton de Vaud avec l’évolution qui affecte les autres cantons dans les années 1960-1980 [2]. Enfin sa manière d’exploiter les archives ouvre des pistes dans l’énorme chantier que représente, comme c’est le cas pour Genève aussi, les documents du Département de justice et police conservés aux Archives cantonales vaudoises.

Le terrain du mémoire est celui du fonctionnement administratif de la censure cinématographique, de la politique menée par le Conseil d’Etat, le DJP en particulier, et du traitement parlementaire de cette tâche, qui figurait dans la loi cantonale sur le cinéma. La période est celle de la prise en compte par les autorités des effets de la « libéralisation des mœurs ». Formellement, elle va de la motion déposée par le député socialiste Raymond Lambercy, le 16 mai 1967, au vote du Grand Conseil, le 8 décembre 1980, dont l’issue dut beaucoup au conseiller d’Etat libéral Jean-François Leuba, chef du Département de justice et police de 1978 à 1990.
Le tableau de ce développement comprend aussi les manifestations de l’ « opinion publique », que les dossiers systématiquement établis par le Secrétariat général du DJP documentent richement, fournissant au chercheur un abondant corpus constitué d’articles de presse et lui donnant accès au courrier que citoyens et citoyennes (électrices depuis 1959 dans le Canton de Vaud) adressèrent sur la question au Département.

Le texte que nous donnons ici est une version corrigée du mémoire défendu en 2010 à la Faculté des lettres de l'Université de Fribourg, dont la chaire d’histoire des sociétés modernes et contemporaines contribue depuis longtemps à la connaissance d’objets que l’historien du cinéma ne saurait négliger s’il tient à décloisonner sa propre discipline.
Quelques retouches ont été apportées, qui portent sur des éléments rédactionnels mineurs et des identifications de film. Mise à part une rectification à propos de Nuit et Brouillard d’Alain Resnais, que l’on cite usuellement à tort comme ayant été frappé d’interdiction en Suisse, ces interventions ne constituent pas une révision des propos tenus en 2010 par l’auteur.

Nous remercions Jean-Baptiste Delèze d’avoir accepté la publication de son mémoire et de s’être plié au jeu de la relecture, et nous sommes reconnaissant au professeur Alain Clavien de l’Université de Fribourg d’en avoir encouragé l’édition en ligne, après en avoir été naguère le directeur.

 

Roland Cosandey
Mars 2018

 

- Jean-Baptiste Delèze, Une censure entre moralisme et pragmatisme. La fin du contrôle des films à l’égard des adultes dans le canton de Vaud (1967-1980), Faculté des lettres de l'Université de Fribourg, Chaire d’histoire des sociétés modernes et contemporaines, Fribourg, été 2010, mémoire de master, 232 p. PDF.

Les textes publiés par Documents de cinéma n’engagent que leur auteur.

 

 


[1] Henri Roth, Censuré ! 1934-1980. Histoire de la commission de contrôle des films de Genève, Slatkine, Genève, 2016, 247 p.
Sources: Archives d’Etat de Genève, AEG, Justice et police, versements 1995 va 1, 1996 va 9, 1999 va 1: archives cinéma; Commission cantonale de contrôle des films, 1934-1989. Nous en avons donné un compte-rendu: Roland Cosandey, «Ils n’ont rien compris au Chien andalou… Une lecture de Censuré! d’Henri Roth», Décadrages (Lausanne), n°37-38, automne 2017 – printemps 2018, pp. 194-206. En ligne: www.decadrages.ch/ils-n-ont-rien-compris-au-chien-andalou-une-lecture-de-censure-d-henri-roth

[2] On lira l'ouvrage indispensable de Martin Eberli, Gefährliche Filme - gefährliche Zensur? Filmzensur im Kanton Luzern im Vergleich mit den Filmkontrollen der Kantone Zürich und Waadt, Bâle, Schwabe Verlag, 2012 (Luzerner Historische Veröffentlichungen, 44).
Un des intérêts du livre est de porter principalement sur un canton de culture catholique, où la censure cinématographique, réputée pour sa rigueur, fut supprimée en 1971, soit neuf ans avant Genève et Vaud. Pour Zurich, une vue des années 1900-1970 est donnée par Matthias Uhlmann, « Das kinematographische Kontagium. Die Behandlungversuche der Zürcher Filmzensur », in: Cinema (Zurich), n°57, 2012, pp. 37-49. En ligne: doi.org/10.5167/uzh-66716
Pour en rester à l’après-guerre, la période 1945-1965 est abordé dans un mémoire bâlois inédit : Christian Hilzinger, Filmkommission und die Erwachsenenzensur in den 1950er Jahren. Organisation, Funktion und Praxis, Universität Basel, Historische Lizentiatsarbeit im Fach Schweizergeschichte, Wintersession 1993/94.