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"Al mare pago io", un film retrouvé

> Roland Cosandey, Al mare pago io, Max Gauthier, CH 1964. Un dossier filmographique, 18 p., pdf.

> Al mare pago io. Entretien avec René Quellet (Cisarel / Cesarino), août 2012, 5 p., pdf.

> Al mare pago io. Entretien avec Georg Janett, script-boy, septembre 2012, 9 p., pdf.

> Roland Cosandey, Sammy Z. Brill (1904-1975) : parcours d’un chef-opérateur, 8 p., pdf.

> Cl.[aude] Vallon, « Un film burlesque tourné en Suisse. Un mime neuchâtelois devient acteur », Feuille d’avis de Lausanne, me 28 août 1963, 1 p., pdf.

> Al mare pago io, 19 photographies (Archives René Quellet), diaporama.

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Max Gauthier, le réalisateur, entouré d’Yvonne Monlaur (Malvina) et de René Quellet (Cisarel / Cesarino). Tirage 18 x 24 cm.

 

A propos d’Al mare pago io, Max Gauthier, 1964. Proposition pour un modèle de notice filmographique

La notice filmographique est un exercice complexe et elle n’est certainement pas réductible à une seule façon de faire.

Nous y avons consacré quelques réflexions dans l’introduction du premier volume de la Filmographie neuchâteloise (Aude Joseph, 2008), un ouvrage qui présente la particularité de relever d’une part de l’inventaire, proposant la description de films matériellement préservés, et, d’autre part, de la filmographie, consacrant des notices à des productions que seules des sources secondaires documentent.

Nos deux filmographies nationales, la première publiée par la Cinémathèque suisse (Dumont, 1987), la seconde établie par la Cinémathèque et l’Université de Lausanne (Dumont et Tortajada, éd., 2007), présentent chacune une approche différente, aussi bien dans l’établissement des données objectives sur les films, dans la nature du commentaire que dans la perspective historiographique qu’elles postulent implicitement ou explicitement.

La masse des informations que les auteurs ont élaborée, ici individuellement, là collectivement, est donnée dans l’une selon un jugement personnel qui tient de la subjectivité critique du cinéphile ; elle est régie, dans l’autre, par une volonté de neutralité objective.

Ces filmographies ont en commun trois caractéristiques qui en atténuent d’une certaine façon la pertinence :

  • L’absence d’information sur l’état de la transmission des films traités.

  • L’impossibilité pour le lecteur de savoir si la notice repose sur la connaissance directe des œuvres.

  • Une relation discutable avec les sources secondaires, dans un cas en raison de leur occultation; dans l’autre par le recours à un corpus de coupures de presse établi de manière très inégale, les « dossiers documentaires de la CS » dont il est fait usage pour rendre compte de manière « objective » de la réception des œuvres tout en omettant souvent d’en nommer les auteurs.

- Hervé Dumont et Maria Tortajada (dir.), Histoire du cinéma suisse 1966 – 2000, Cinémathèque suisse, Gilles Attinger, Lausanne, Hauterive, 2007.

- Hervé Dumont, Histoire du cinéma suisse. 
Films de fiction 1896-1965, Cinémathèque suisse, Lausanne, 1987.

 

Une démarche programmatique

Les filmographies font rarement l’objet d’une discussion critique, alors qu’elles constituent en principe des ouvrages destinés à faire référence sur le long terme, surtout quand elles se présentent sous la forme du catalogue raisonné plutôt que de la liste normée à la manière des bibliographies nationales.

Jugeant qu’il est assez vain de faire le procès de celles que nous utilisons tous les jours et dont l’usage nous montre tous les jours les avantages comme les limites, nous avons tenté d’élaborer une notice qui réponde dans sa conception à un certain nombre d’exigences que nous jugeons fondamentales.

  • L’enracinement d’un projet filmographique dans les archives entraîne à nos yeux un postulat : le premier objet à décrire, c’est la copie conservée et ses éventuelles variantes. Ce sont nos sources primaires.

Le générique est donc celui que présente la copie choisie comme référence.

A ce titre, il s’agit d’un document comme un autre, dont on respectera aussi les informations fournies par sa forme (ordre et hiérarchie des éléments, en premier lieu). Comme tout document, il est redevable d’une approche critique et de compléments d’information dûment signalés et référencés.

  • Le film, abordé sous l’espèce de la copie, est mis en relation avec des sources, selon un ensemble d’étapes qui s’ordonnent chronologiquement, de la conception de l’œuvre à son versement en archives : écriture, production, tournage, post-production, diffusion, réception, fortune critique, conservation.

Chacune de ces étapes produit des sources à la fois spécifiques et diverses par leur nature, leur forme, leur émetteur. Liés à la période de l’existence active de l’œuvre, ces documents visuels, écrits, inédits ou publiés, constituent nos sources secondaires.

  • L’œuvre étant susceptible d’avoir été commentée ultérieurement et de s’inscrire ainsi dans une tradition critique qui lui assigne rétroactivement une place dans tel ou tel cadre interprétatif, cette postérité définit à son tour un nouveau type de sources que nous nommerons tertiaires (notice filmographique, étude monographique, usage comme source historique, etc.).

Ne craignons pas de le redire : toute donnée élaborée à partir d’un élément relevant de l’un ou l’autre de ces trois types de sources doit impérativement être référencé.

 

Le cas Al mare pago io (1964)

D’une certaine manière, nous nous sommes facilité la tâche en choisissant Al mare pago io pour réfléchir concrètement à un modèle de notice filmographique.

En dehors de l’unique positif 35 mm conservé à notre connaissance, la Cinémathèque suisse détenait une seule coupure de presse sur ce film, mais elle l’ignorait (le hasard l’a fait découvrir cet été dans le dossier de Solo de Jean-Pierre Mocky, rangée là parce que le film de Gauthier portait ce titre au moment du tournage).

Sinon pas la moindre documentation sur ce film, que ne mentionne aucune de nos filmographies.

Cette situation est courante pour des centaines d’oeuvres de commande, les auteurs de Schaufenster Schweiz (2011) en savent quelque chose. Mais elle est plutôt singulière pour un long métrage de fiction réalisé en Suisse au début des années 1960, une période où l’on en compte sept en 1960, huit en 1961 (ou neuf, si l’on tient compte d’une production inachevée), deux en 1963, deux en 1964 et trois en 1965 (selon Dumont, 1987).

D’où, en l’occurrence, une première démarche: constituer pour Al mare pago io la chaîne des sources évoquée ci-dessus, pour mettre en évidence leur articulation, exploiter les possibilités d’interprétation qu’elles offrent et démontrer la nécessité d’avoir une vision globale dans la récolte des données entourant une œuvre que l’on conserve par mission patrimoniale, si éclatée que soit la répartition des documents dans les différents secteurs de l’institution chargée de cette mission : copie aux archives filmiques; matériel d’exploitation (photographies, affiches, bande annonce) dans la collection iconographique ; dossiers documentaires, périodiques et ouvrages à la bibliothèque.

C’est aussi, en passant, établir sur certains protagonistes de ce tournage, des éléments d’information plus larges.

Grâce aux archives privées de René Quellet, copiées en attendant un éventuel dépôt des originaux, et à l’apport du Corigraf (Archivio storico pubblicita, Gênes), la Cinémathèque possède désormais une documentation unique sur Al mare pago io.

Unique, mais aussi particulière, car y font défaut des documents que l’on peut usuellement réunir pour un film et qui touchent à sa distribution et à sa réception critique (press book, affiche, coupures de presse), le film de Max Gauthier n’ayant jamais été mis sur le marché à l’étranger et n’ayant bénéficié que de furtives projections en Suisse, malgré son inscription dans l’Annuaire de la cinématographie suisse de 1965 à 1968.

Cette particularité a entraîné une autre démarche. Afin de compléter les sources disponibles, nous avons mené des entretiens ou une correspondance, selon l’éloignement géographique, avec quatre des cinq personnes qui participèrent voici un demi-siècle, en 1963, à la réalisation de Al mare pago io et qui étaient susceptibles aujourd’hui d’en témoigner.

L’opération avait pour but de démontrer – chose théoriquement admise, mais la plupart du temps reléguée à plus tard dans la pratique – à quel point il est nécessaire d’intervenir sur ce plan aussi, dans le cas d’une œuvre versée en archive dont il est possible d’enrichir la connaissance tant que les participants peuvent encore en témoigner.

Cette vision « participative » de l’archivage ne concerne d’ailleurs pas seulement les œuvres, mais tout fonds, film ou non-film, déposé par la personne ou l’institution d’où il provient, que celle-ci l’ait constitué ou qu’elle s’en soit faite le truchement.

La réflexion et les pratiques mises en œuvre ici se reflètent de diverses manières dans les dossiers de Documents de cinéma publiés en ligne par la Cinémathèque suisse. Elles nourrissent également un cours donné chaque année dans le cadre du Master cinéma (option Archives, module 4) sous l’égide de l’Université de Lausanne (Histoire et esthétique du cinéma) et de la Cinémathèque suisse.

Que tous ceux qui rendent cet enseignement possible depuis 2008, collaborateurs des institutions et étudiants, reçoivent ici nos remerciements pour leurs apports constants et stimulants.

A l’origine, une partie de la documentation d’Al mare pago io fut établie pour permettre la réalisation d’un des travaux pratiques d’un cours que nous avons donné en août 2012 : « Conservé mais inconnu: Al mare pago io, CH-I, années 1960. La notice filmographique (un exercice pour de vrai) ».

Mené dans ce cadre formatif par Alice Bourrely, ce travail nous a entraîné à faire l’exercice pour de vrai à notre tour. L’ensemble est mis en ligne dans Documents de cinéma au moment où la Cinémathèque suisse programme le film, en présence de René Quellet, au Cinématographe, mardi 5 février 2013, à 18h30.

Quel plus bel aboutissement pour un cours qui s’intitule « De l’archive à l’écran. Restauration du spectacle cinématographique » ?

 

Roland Cosandey, janvier 2013.