L'architecture à l'écran: la classe laborieuse en Grande-Bretagne
Un mois sur deux, la revue romande Tracés, la Cinémathèque suisse, la Maison de l'Architecture et le collectif Le Silo explorent les liens entre architecture et cinéma. La séance du 29 avril, sur le thème du logement de la classe laborieuse en Grande-Bretagne, confronte un court métrage réalisé dans
la cité réhabilitée d’Abbeyview à Dunfermline (Ecosse), au premier long métrage de Ken Loach, Poor Cow.
En 1842, le jeune Friedrich Engels est envoyé par sa famille dans une filature de coton à Manchester. Il y découvre les conditions déplorables dans lesquelles vivent les ouvriers. Dans l’ouvrage que lui inspire ce séjour,
La situations de la classe laborieuse en Angleterre (1845), il décrit longuement les taudis sordides et insalubres où s’entasse la masse anonyme qui
constitue la working class britannique. Le problème du logement hantera durablement les gouvernements de Sa Majesté : ce n’est qu’en 1919 que l’Etat se substitue enfin aux philanthropes et à la bonne volonté des municipalités en promulguant un Housing and Town Planning Act, qui l’oblige désormais à prendre en charge le logement de millions de Britanniques – telle Joy, l’héroïne contradictoire du « kitchen sink drama » que Ken Loach signe en 1967.
A la manière d’un docu-fiction (voix off à la première personne, cartons et entretiens, inserts documentaires, etc.), Poor Cow offre, sans moralisme ni complaisance, un aperçu de la vie et des amours de Joy. Celle-ci évolue dans les anciens quartiers populaires du Sud-Ouest de Londres où subsistent des maisons surpeuplées et où l’on fait encore sécher le linge dans les rues. Les projets de l’Etat-providence battent alors leur plein : à côté des ruines fumantes d’un passé misérable s'érigent des cités HLM flambant neuves, construites dans le plus pur style brutaliste. Si le Winstanley Estate, que Joy traverse, n’est pas encore le haut lieu du trafic de drogue qu’il est devenu depuis, il est difficile de ne pas reconnaître dans l’exercice réaliste de Loach une critique de ces conditions de vie. Victime de ses choix, Joy l’est aussi de sa classe (et de son genre). Comme son mari le lui explique, l’accès au logement, qu’il soit social ou pas, reste sous l’emprise du marché (plus tard, Joy n’hésitera pas à offrir son corps en échange d’un logement plus « chic »). Ironie du sort, la Battersea Power Station, dont on reconnaît la silhouette iconique
à l’écran, est aujourd’hui en passe de devenir un projet résidentiel de luxe.
Née dans une Londres miséreuse, Joy aurait pu tout aussi bien errer avec
son fils dans les anciens HLM de Dunfermline, cité minière d’Ecosse, où Luke Fowler tourne An Abbeyview film. Son exploration poétique des lieux accomplit le mouvement amorcé par le film de Loach : la remontée de ce qui demeure habituellement à l’arrière-plan – les logements de la classe laborieuse
en Grande-Bretagne – vers le devant de la scène.
Teresa Castro
Comme à chaque fois, la projection sera précédée d’une mini-conférence, dans le but de mieux cerner l’intérêt et les enjeux qui se dégagent de la mise en perspective de ces deux films.
Une deuxième projection a lieu le lendemain (30 avril) à 18h, aux Cinémas du Grütli. / www.cinemas-du-grutli.ch
Mardi 29 avril à 21h au Cinématographe
> An Abbeyview film de Luke Fowler, court-métrage (9') suivi de
> Poor Cow de Ken Loach