L'architecture à l'écran
Un mois sur deux, la revue romande Tracés et le collectif Le Silo explorent les liens entre architecture et cinéma. Sur le thème des villes nouvelles, la séance du 4 décembre confronte un court métrage documentaire et une fiction d'Eric Rohmer.
C’est une ville nouvelle, Cergy-Pontoise, qui sert de décor à L’Ami de mon amie. Eric Rohmer filme cette cité construite ex nihilo à 28 kilomètres de Paris comme une ville du Quattrocento, toile de fond soigneusement déployée du dernier épisode de sa série des «Comédies et proverbes». Il se fait ainsi le porte-voix d’un questionnement: est-il possible de créer une ville de A à Z, dans toute sa complexité?
Déjà en 1969, dans un Entretien sur le béton réalisé pour la télévision avec l’architecte Claude Parent et l’urbaniste Paul Virilio, Rohmer dressait un état des lieux des évolutions en matière d’urbanisme et de tectonique et faisait dialoguer les deux tendances majeures des avant-gardes architecturales: le brutalisme et l’autoconstruction militante. A Virilio qui défend la plasticité du béton et la réinvention du rapport à l’espace qu’il rend possible s’oppose l’idée des architectures légères que chacun pourrait réaliser librement. Si des positions aussi radicales ont leur place sur le petit écran, c’est que la question de la ville moderne est devenue un sujet de société.
A la fin des années 1960, l’agglomération parisienne, à l’initiative de Paul Delouvrier, adopte une politique d’expansion diamétralement opposée à celle qu’elle avait suivie jusque-là, fondée sur le zonage. On construisait d’un côté des quartiers pour habiter, de l’autre des quartiers pour travailler, rarement les deux ensemble. Le résultat de cette stratégie est connu: le zonage ne produit pas de la ville, mais tout au plus de mornes quartiers résidentiels et des quartiers d’affaires sans vie après sept heures du soir. Les cités nouvelles des années 1970 sont la réponse à cette stratégie urbaine en échec. On planifie alors des villes en y apportant tout ce qui fait la richesse du milieu urbain: des logements, mais aussi des emplois, des loisirs, des écoles, des universités, des transports et dans certains cas, comme à Cergy, une interpénétration intelligente entre les lieux de résidence et les lieux d’activité. Des cinq villes nouvelles planifiées autour de Paris, Cergy est certainement la plus achevée. Elle compte aujourd’hui autant d’habitants que Lausanne. En 1975, Rohmer lui consacrait un documentaire intitulé Enfance d’une ville (premier épisode de la série «Villes nouvelles» produite par l’INA). Douze ans plus tard, la fiction prend le relais pour interroger, à travers les élans du cœur et la maturité des rapports amoureux de quatre jeunes gens, le passage à l’âge adulte d’une ville nouvelle.
Christophe Catsaros et Jennifer Verraes
Mercredi 4 décembre à 21h au Cinématographe
> Entretien sur le béton d'Eric Rohmer, suivi de
> L'Ami de mon amie d'Eric Rohmer