Architecture à l'écran: Une fleur sur l'asphalte
Un mois sur deux, la revue romande Tracés et le collectif Le Silo explorent les liens entre architecture et cinéma. Sur le thème de la genèse et de la fin des espaces urbains, la séance du 5 février, intitulée «Une fleur sur l’asphalte», investit l’écart entre une vidéo brésilienne réalisée en 2011 pour la biennale de Shenzhen & Hong Kong d’urbanisme et d’architecture, et une fiction d’Abbas Kiarostami des années 1980.
Dès le mois de février, les séances «L’architecture à l’écran» seront reprises et présentées aux Cinémas du Grütli dans le cadre d’une nouvelle collaboration avec la Maison de l’Architecture de Genève. Rendez-vous pour la première, le mardi 4 février.
Une fleur sur l’asphalte
Cette séance propose d’investir l’espace qui sépare Où est la maison de mon ami?, tourné par Abbas Kiarostami en 1987 dans deux villages du nord de l’Iran, et Brasilia, vidéo que le cinéaste brésilien Cao Guimarães a réalisée en 2011 pour la biennale de Shenzhen & Hong Kong d’urbanisme et d’architecture. Les deux films développent chacun à leur manière une réflexion sur la place de la spontanéité et de la rationalité dans les espaces urbains, sur le jeu de forces entre tradition et modernité.
La ville moderne est le contrechamp imaginaire des villages de Koker et de Pochté que filme Kiarostami. C’est un ailleurs que l’on craint où la transmission, la mémoire, le savoir-faire manuel et la poésie n’ont sans doute plus tout à fait leur place. Peut-on imaginer, dans une ville moderne, un chemin comme celui qu’emprunte Ahmed, un sentier en forme de «Z» comme celui que le film a tracé sur la colline qui sépare les deux villages?
Dans Brasília, Cao Guimarães observe la façon dont les habitants adaptent et détournent l’architecture moderniste. D’étranges chemins surgissent du jour au lendemain, là où précisément tout avait été prévu. «C’est seulement lorsque ses éléments deviennent autonomes qu’une ville dessinée et projetée devient vraiment une ville; quand ils apprennent à parler, quand ils s’inventent une grammaire», écrit Cao Guimarães à propos de Brasilia. «Une ville devient une ville quand la feuille qui se détache de l’arbre reconnaît le terrain sur lequel elle se pose.»
Où est la maison de mon ami? doit à la poésie de Sohrab Sepehri non seulement son titre mais aussi son esprit. Le film reproduit le délicat jeu d’ombres et de lumières présent dans les vers de Sepehri et met spécialement en valeur ces instants d’épiphanie, surgis au coin d’une rue ou au pied d’une fontaine, la nuit. De semblables moments peuvent-ils advenir dans les villes modernes? La vidéo de Cao Guimarães répond en convoquant le poème La fleur et la nausée, que l’écrivain moderniste Carlos Drummond de Andrade publiait en 1945: «Une fleur est née dans la rue! / Eloignez-vous, tramways, bus, fleuve d’acier des voitures. / Une fleur encore frêle / déjoue la police, fissure l’asphalte. / Silence, je vous prie, arrêtez vos affaires, / je jure qu’une fleur vient de naître.»
Investissons, à notre tour, cet intervalle entre un film iranien des années 1980 et une vidéo brésilienne des années 2000, pour y «faire pousser des fleurs».
Lucia Monteiro, membre du collectif Le Silo
Mercredi 5 février à 21h au Cinématographe
> Brasilia de Cao Guimaraes, suivi de
> Où est la maison de mon ami? de Abbas Kiarostami