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Negresco Schimpansi, c’est Safari !

Initiates file downloadRoland Cosandey, Negresco Schimpansi, c’est Safari (W. Eggert, 1939)!, 55 p., 28 ill., PDF.

 

Safari ou Negresco Schimpansi ? L’un et l’autre – une introduction

Safari en Allemagne, Negresco Schimpansi en Suisse, nous abordons ici un film de voyage, plutôt que d’exploration, un safari cinématographique de 1939 relevant de la catégorie du "Kulturfilm", alors très appréciée pour son caractère instructif.
La Cinémathèque en effectua la sauvegarde par duplication analogique en 2009.

Ce qu’il offrait, Wilhelm Eggert, son initiateur, nous le dit dans le prologue: satisfaire notre nostalgie des lointains, certes sans pouvoir nous faire vivre toutes les beautés du voyage, mais aussi sans nous en faire subir les inconvénients.
«Die Sehnsucht nach fernen Ländern und das Interesse an fremden Völkern und Trachten ist wohl in den meisten Menschen mehr oder weniger stark ausgeprägt. Wenn Sie nun in der Folge die Bilder an sich vorüberziehen sehen, so bedauere ich nur, dass ich Ihnen nicht alle Schönheiten einer solchen Reise hier bieten kann. Dafür bleibt Ihnen jedoch anderseits alles Beschwerliche und Unangenehme erspart.»
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L’affiche traduit ce qui est censé nourrir notre nostalgie. Ces lointains sont africains, humains et animaliers: trois jeunes femmes noires, deux d’entre elles le torse nu, un guépard au repos, un zèbre et des girafes qui passent, attractions étagées du premier au troisième plan sur l’affiche vivement colorée du film.

Mené d’Alger à Mombasa (Alger – Kano – Bangassou – Amadi  – Waza – Nairobi – Mombasa -, le raid automobile partit de Nice en février 1934 pour revenir à Zurich en novembre 1935. Mais le film n’apparut sur les écrans - premières à Zurich et à Berlin - qu’au printemps 1939, avec son, musique et commentaire en off.
Son identité est disputée. En Suisse, il passa pour une production helvétique. On en attribuait l’image à l’artiste zurichoise Dora Eggert-Kuser (1900-1987), épouse du «chef de l’expédition», le peintre allemand Wilhelm Eggert (1886- ?).
Pour nous, c’est un film allemand, et nous pensons qu’il nous vint volontairement brouillé, sinon franchement camouflé. Sur l’affiche originale, on colla Negresco-Schimpansi là où se lisait Safari et on mit «Verleih: Resta-Film Zürich» sur le nom du distributeur allemand. Mais il y a mieux. En Suisse romande, il fut montré avec un commentaire live qui escamotait les passages les plus impérialement nostalgiques du commentaire off.

C’est en partie ce brouillage que nous décrivons ici, en nous fondant sur le film d’abord, considéré sous l’espèce de la copie dupliquée par la Cinémathèque, sur une fiche de la censure allemande, mais aussi sur l’affiche et les photos d’exploitation, sur les recensions parues dans la presse suisse alémanique et du matériel inédit provenant de Dora Eggert-Kuser elle-même.
Les documents conservés à la CS sur Safari sont exceptionnels – on y trouve même les disques, achetés sur place, qui servirent à la sonorisation du film -, et ils mobilisent tous les secteurs du Centre d’archivage de Penthaz.

Nous montrons aussi que la copie dupliquée en 2009 présente une lacune importante et que le nouveau sous-titrage français, omettant toutes les allusions que fait le commentaire original aux anciennes colonies perdues par l’Empire germanique à l’issue de la Première guerre mondiale, met en circulation un objet proprement chimérique.
Les pages que nous proposons ici traitent de questions comme c’est quoi l’authenticité? que fit Dora parmi les Pygmées de la jungle? comment le film fut-il montré? qu’en dit-on et selon quelles pensées? comment le donne-t-on à voir aujourd’hui?

Elles traduisent aussi la productivité de la recherche quand celle-ci peut décloisonner les départements du Centre d’archivage de Penthaz, chargés chacun de traiter et de conserver des objets qui, pour être de nature spécifique – films, affiches et photographies, fonds papier, livres et autres imprimés –, n’en sont pas moins associables quand on fait l’effort de les mettre en relation. C’est ce qu’expriment les remerciements adressés aux collaborateurs de la Cinémathèque et, comme on le constatera aussi, à de nombreuses compétences extérieures.

Comme le film de l’aviateur Philipp Vacano, Bolivien. Das südamerikanische Berg-und Indianerland (1934 ?), dont la CS a assuré la sauvegarde en 2016, Safari / Negresco-Schimpansi n’avait jamais fait l’objet d’une étude avant que Documents de cinéma ne l’aborde.
Au fil de la recherche un autre cinéaste est apparu et trois titres parfaitement oubliés, qui appartiennent au corpus des films de nature documentaire tournés à l’étranger par des réalisateurs suisses. Il se nomme Armin Berner, son terrain semble avoir été le Brésil dans les années 1930 et son principal sujet, en cette période de crise économique, les colons suisses du Paranà. Une longue note lui est consacrée en passant.

Où peut-on voir ce genre de "films d’archives" aujourd’hui ? La Cinémathèque, qui mène depuis plusieurs années un effort concerté de restauration des "films de voyage" versés à l’institution depuis les années 1940, les montre parfois. Le public lausannois peut en prendre connaissance grâce au programme mensuel à l’affiche du Cinématographe à l’enseigne de Trésors des archives.
A Berne, c’est au Lichtspiel / Kinemathek Bern qu’il faut aller.
Ce dossier est mis en ligne à l’occasion de la projection de Safari / Negresco Schimpansi aux 52èmes Journées de Soleure (19-26 janvier 2017), dans le cadre du programme «Histoires du cinéma suisse» intitulé cette année Reise ins Landesaüssere / Voyages loin du pays, établi avec notre collaboration en partenariat avec la Cinémathèque suisse et Memoriav.

Roland Cosandey

Janvier 2017

 

Nos remerciements vont à Thomas Bissegger (CS), Carina Carballo (CS), Michel Dind (CS), Maud Kissling (CS), Maryline Monnerat (CS), Caroline Neeser (CS), Tatiana Berseth-Abplanalp (CS), Hugo Radi (CS, Zurich), Seraina Winzeler (CS, Zurich).

Francesca Bozzano (Cinémathèque de Toulouse), André Chevailler (Lausanne), Claudia Engelhardt et Christoph Michel (Filmmuseum im Münchner Stadtmuseum), Wolfgang Fuhrmann (Université de Zurich), Pierre-Emmanuel Jaques (Université de Lausanne), David Landolf (Lichtspiel / Kinemathek Bern), Philippe Ney (Lausanne), Laurent Mannoni (Cinémathèque française), Adilson I. Mendes (Istituto Butantan, São Paulo), Dennis O’Brien (O’Brien Truckers, Charlton, MA, USA), Christophe Pincemaille (Musées nationaux de l'île d'Aix), Severin Ruegg (Centre des médias électroniques, CME / ZEM, DDPS), Thomas Schärer (Zürcher Hochschule der Künste), Olivier Schryer (St-Gingolph), Alain Zuaznabar-Inda (mairie de Saint-Jean-Pied-de-Port).


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