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Archiver la bande-annonce

Quelques considérations élémentaires

Initiates file downloadRoland Cosandey, Archiver la bande-annonce: quelques considérations élémentaires, décembre 2013, 5 p. pdf

Initiates file downloadAnnexe 1 - La bande-annonce. Note lexico-bibliographique, 2 p., pdf

Initiates file downloadAnnexe 2 - Programmer la bande-annonce, 8 p., pdf

 

Ce dossier est dédié à la mémoire de Marthe Porret, qui nous a quittés le 18 avril 2014.

 

Présentation

1.

Les considérations développées ici ont une double origine.
Dans le cadre du module 4 de l’option archives du master cinéma (Université de Lausanne, Histoire et esthétique du cinéma / Cinémathèque suisse), nous proposions en août 2013 un travail pratique intitulé « Une collection inexplorée : la bande-annonce. Première campagne de visionnement et premières propositions de mise en valeur ».
Sa préparation nous avait amené à visionner à la Cinémathèque suisse une cinquantaine de bandes-annonce, sélectionnées à notre demande parmi les copies consultables et projetables par Michel Dind, responsable des archives film.
Cette première exploration fut complétée ultérieurement par le visionnage au Lichtspiel / Kinemathek Bern d’une cinquantaine de bandes-annonce retenues parmi les quelque 1200 titres saisis à ce jour par cette institution (la liste alphabétique compte environ 2560 entrées).

Par ailleurs, dans le cadre la Fondation culturelle de Suissimage, où nous siégeons, nous établissions cet automne le bilan d’une action menée de 2011 à 2013 et conçue comme une aide à la promotion. Celle-ci était destinée à soutenir financièrement la production d’affiches et l’établissement de bandes-annonce pour des longs métrages suisses appartenant à la catégorie du « Studiofilm », dans l’idée de contribuer à améliorer la concertation des partenaires – producteurs et distributeurs – et la qualité de ces moyens publicitaires. L’exercice nous entraîna à visionner une cinquantaine de bandes-annonce de films de fiction et de documentaires récents et à mener, avec Carola Stern, initiatrice de cette action au sein de la Fondation, une évaluation qualitative auprès des distributeurs. Enfin, le 25ème anniversaire de la Fondation, qui eut lieu au Lichtspiel Bern le 15 novembre 2013, nous donna l’occasion d’élaborer trois programmes de trente minutes composé d’un choix effectué dans nos trois corpus (voir Annexe 2).

2.

Comme nous évoluions, pour les bandes-annonce anciennes, dans les deux archives suisses soucieuses de récolter, conserver et mettre en valeur ce type de documents, la Cinémathèque suisse et le Lichtspiel Bern, ces travaux nous ont entraîné à aborder, sous la forme d’une description générale, la question du traitement de cet objet singulier. Nous nous sommes plus particulièrement attaché à établir quels éléments il fallait envisager pour rendre compte avec le plus de pertinence possible de son identité, dans l’idée d’établir ainsi les conditions d’une  interprétation critique menée en connaissance de cause.

Ces réflexions rejoignent une discussion méthodologique menée à propos des dossiers documentaires que la Cinémathèque suisse a constitué sur les films. En effet, leur contenu étant largement déterminé par la présence des oeuvres sur le marché suisse, la bande-annonce de ces mêmes films, pour autant qu’elle ait été conservée et cataloguée, devrait pouvoir être mise en relation directe avec ces dossiers, où l’on trouve souvent du matériel promotionnel imprimé provenant des maisons de distribution, sans parler des affiches.

Notre propos s’inscrit ainsi dans l’ensemble des questions que pose la constitution de la documentation cinématographique, avec une acuité d’autant plus grande aujourd’hui que les formes publicitaires du cinéma sont plus difficilement saisissables pour la conservation et l’étude qu’à l’époque où l’imprimé et la pellicule en étaient les supports essentiels.

3.

La collection de cet objet publicitaire filmique qu’est la bande-annonce dépend étroitement de la relation établie par les archives avec la production nationale, d’une part, et le marché de l’autre. On gardera donc à l’esprit, en lisant les pages qui suivent, le fait que le marché cinématographique suisse est essentiellement alimenté par des films importés et qu’une part de cette production étrangère est déposée au terme de son exploitation commerciale à la Cinémathèque suisse.

Un autre point important, en termes de collection et de conservation, tient à la fonction même de la bande-annonce. S’agissant d’un moyen promotionnel se présentant sous la forme d’un film, son sort archivistique est partagé entre son appartenance fonctionnelle aux autres moyens publicitaires, qui relèvent des collections non-film, et son appartenance matérielle à la collection des films. Mais là où l’affiche jouit depuis longtemps d’une attention particulière, la bande-annonce, apparemment plus difficile à être exposée, moins identifiable en tout cas par ses producteurs, sans véritable statut au-delà de sa fonction publicitaire, pléthorique et peu prioritaire, subit souvent un sort plus proche du stockage collectif que du traitement archivistique individualisé.

Dans notre perspective, comme on le verra, son intérêt tient à l’obligation dans laquelle la bande-annonce nous met de prendre en compte tous les maillons de la chaîne : au film déposé après exploitation, il est nécessaire de pouvoir associer les affiches qui en ont fait la réclame, le livret d’exploitation, le dossier de presse, etc. La documentation méthodique de chacun de ces objets a pour vertu d’établir la possibilité d’aborder historiquement une œuvre selon le sens que lui donne son inscription territoriale unique.

4.

En écrivant ces lignes, nous sommes conscient que la bande-annonce est un objet problématique pour les archives: déversée en de multiples exemplaires, accumulée en vrac, dévoreuse de temps, rarement sollicitée pour le programme de projection, jugée répétitive dans ses formes et difficilement individualisable sauf pour ses rares occurrences d’ « auteur », peu demandée enfin par les chercheurs (voir Annexe 1).

Mais si pléthorique et encombrante que puisse être la bande-annonce, nous avons aussi observé, dans notre contexte, quelque changement dans l’attention qui lui est portée. Dans le corpus qu’il nous a été donné de visionner, on rencontre des tirages d’archive dûment munis d’un carton d’édition ; la bande-annonce de films conservés aux termes du patrimoine national commence à accompagner la sauvegarde de ces derniers; parfois on a puisé dans la collection des bandes-annonce un programme de projection.

En proposant qu’une attention accrue soit portée aujourd’hui par les archives à l’égard de cette manifestation publicitaire du cinéma, nous espérons évidemment contribuer à cette évolution, que l’on s’inquiète du passé ou du présent. Désormais ubiquitaire, la bande-annonce jouit aujourd’hui d’une véritable omniprésence sur l’internet, ce support à propagation rapide favorisant par ailleurs l’apparition de formes promotionnelles nouvelles, de la pré-bande-annonce à cette variante du « making-off » baptisé d’un terme emprunté à la technique du montage, le « B-roll ».

 

Roland Cosandey, avril 2014