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Les « Documents de cinéma » de la Cinémathèque suisse

Du bulletin de liaison à la collection de monographies

De septembre 1954 à octobre - novembre 1958, la Cinémathèque publia sous forme ronéotypée douze livraisons du Bulletin de la Cinémathèque suisse, périodique tiré à quelque quatre cents exemplaires, selon l’éditorial du numéro trois.

Cette modeste publication d’une dizaine de pages était conçue comme un bulletin de liaison et fournissait des informations sur l’activité de la Cinémathèque et des ciné-clubs suisses, des notes bibliographiques, ainsi que des pages consacrées à des questions d’histoire ou d’actualité. Freddy Buache et René Favre en étaient les rédacteurs.

En 1959, l’effort éditorial de la Cinémathèque prend un tour nouveau avec Le cinéma réaliste allemand, signé Raymond Borde, Freddy Buache, Francis Courtade et Marcel Tariol. Cette première publication monographique inaugurait une collection intitulée « Documents de cinéma ». Proposant une analyse de films largement fondée sur le découpage des copies, l’ouvrage resta longtemps une des rares références francophones sur le cinéma allemand non expressionniste des années 1920-1933, surtout dans sa nouvelle version éditée en 1965 chez SERDOC (Lyon).

De 1959 à 1966, six titres parurent dans la collection « Documents de cinéma », dont Le cinéma néo-réaliste italien de Raymond Borde et André Bouissy (1960) et la première étude sur les années initiales du spectacle cinématographique en Suisse, Les débuts du cinématographe à Genève et à Lausanne 1895-191 de Freddy Buache et Jacques Rial (1964). Les deux furent lus assidûment, le second pour son défrichage d’une période oubliée, documentée essentiellement à travers la presse ; le premier pour son approche d’un cinéma dont un bon nombre de films circulaient en salles et dans les ciné-clubs, approche menée dans une perspective marxisante et polémique qui valut à l’ouvrage, à son éditeur et à l’institution une accusation publique de philocommunisme, dans le climat helvétique de la Guerre froide.

On lira à ce propos les souvenirs de Freddy Buache dans Derrière l’écran (Payot, Lausanne, 1995) et le mémoire inédit, mais consultable dans diverses bibliothèques, d’Andrea Rusconi, « La Cinémathèque c’est moi ! ». Freddy Buache e la Cinémathèque suisse (1948-1975. Progetti culturali e dibattiti ideologici (Université de Fribourg, Faculté des lettres, Histoire contemporaine, générale et suisse, 2007).

 

Ciné-clubs

Le deuxième titre, Du cinématographe au septième art (octobre 1959), mérite d’être signalé ici pour l’intérêt de l’entreprise qu’il venait prolonger, un cycle de cinq conférences sur le thème « Problèmes du 7ème art », tenu entre décembre 1957 et mars 1958 à l’Université de Genève.

L’initiative venait de l’Office d’art et culture de l’Association générale des étudiants et l’organisation fut le fait de Pierre Barde, président du Ciné-club universitaire de Genève, créé en 1951, et de François Bardet du Ciné-club des jeunes. La transcription de l’enregistrement des exposés retenus (Agel, Buache, Kast, Mitry et Sadoul) fut effectuée par François Rochat, dirigeant du Ciné-club universitaire de Lausanne, l’un des auteurs de l’enquête « Les jeunes et le cinéma » publié dans le dernier Bulletin de la Cinémathèque suisse (n°12, octobre-novembre 1958)

Le CCU ayant dû renoncer à la publication, le relais fut pris par Freddy Buache, dans l’idée « qu’elle offrira une précieuse source de réflexions à tous ceux – aux jeunes en particulier – qui désirent connaître mieux les chemins menant du cinématographe au septième art. » Un deuxième cycle fut organisé durant le semestre d’été 1958 réunissant Henri Mercillon, Hans Laemmel, Yves Baudrier et Jean Mitry.

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Travelling & Documents de cinéma

De 1975 à 1977, une deuxième série fut publiée sous une double enseigne et avec un intitulé modifié - « Documents Cinémathèque suisse» -, la Cinémathèque ayant repris le titre de la revue lausannoise Travelling, créé par Marcel Leiser en octobre 1963. Ce périodique, qui avait accompagné l’effervescence cinématographique des années 1960, cessa dès lors « de courir après l’actualité sans jamais pouvoir la rattraper (…) pour se consacrer à des travaux historiques plus denses », écrivait Marcel Schüpbach dans Construire (28 janvier 1976).

Cette série nouvelle commença par un important dossier consacré à Leopold Lindtberg et le cinéma suisse 1935-1953, établi par Hervé Dumont (1975) et qui constitue probablement la contribution la plus importante des années 1970 à la connaissance du cinéma suisse d’un âge qui était désormais dénommé « classique ».

Suivit une troisième et dernière série, qui ne prolongea pas la numérotation tout en conservant la mention originale. C’est là que trouva place l’Histoire du cinéma d’animation suisse de Bruno Edera (1978), première étude sur le sujet. L’activité d’édition de la Cinémathèque suisse prit ensuite le tour d’une collection dirigée par Freddy Buache aux éditions lausannoises de L’Âge d’homme.

Au moment d’utiliser l’internet pour y donner à lire des travaux inédits fondés sur les collections de la Cinémathèque, qu’il s’agisse de films ou d’autres sources, il a semblé légitime de reprendre ce titre de « Documents de cinéma » et de signifier ainsi une reconnaissance aussi bien qu’une forme de continuité.

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Les CICI – passage du témoin

Mis en ligne fin 2009, Avant-garde et cinéma, premier dossier relevant de cette forme d’édition renoue avec l’un des derniers « Documents de cinéma », Cinéma d’avant-garde à la fin du muet, édité en deux volumes par Freddy Buache (Travelling – Documents de cinéma, n°55, été 1979, et n°56-57, printemps 1980), puisqu’il est consacré, lui aussi, au Congrès international du cinéma indépendant, le fameux CICI tenu à La Sarraz en septembre 1929.

Si les résolutions prises par cette réunion de l’ « avant-garde » cinématographique européenne, qu’il s’agisse de production indépendante, de l’organisation internationale des groupements de spectateurs ou de la lutte contre la censure, échouèrent à trouver une application concrète directe, et cela malgré une deuxième édition à Bruxelles en 1930, le Congrès de La Sarraz n’en représenta pas moins un moment auquel deux générations d’ « animateurs » et de cinéastes ont attribué une haute portée symbolique et dont ils ont poursuivi à leur manière les vues et les visées.

On trouvera d’ailleurs dans le Bulletin de la Cinémathèque suisse de l’été 1955 (n°4) un article au tour programmatique signé Freddy Buache, qui est probablement le premier rappel historique du CICI de 1929 qu’on ait fait en Suisse.

L’acronyme sera repris, d’abord dans l’ordre puis en inversant les qualificatifs (« Congrès indépendant du cinéma international »), pour nommer dès 1963 une série de réunions cinéphiliques organisées par les représentants d’un axe extra-parisien constitué par la Cinémathèque de Lausanne, la revue lyonnaise Premier Plan (Bernard Chardère) et la Cinémathèque de Toulouse (Raymond Borde).

Si le premier CICI nouveau, qui se tint à Lausanne du 25 août au 1er septembre 1963, porte le chiffre trois en signe de continuité, son répertoire est d’emblée largement rétrospectif et fait la part belle au cinéma muet.

Cf. Protocole du troisième congrès international du cinéma indépendant. Lausanne 25 août – 1er septembre 1963, Lausanne, SIDOC 1964. Notons que SIDOC est l’acronyme de « Service pour l’impression de Documents de cinéma », sans que ce dossier apparaisse autrement comme appartenant à la série.

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D’une perspective à l’autre

A partir des années 1980, les changements dans l’évaluation du premier CICI - celui de Bruxelles en 1930 n’a pas encore fait l’objet d’une étude - témoignent de l’évolution des études cinématographiques. L’accent s’est déplacé d’une position militante de défense et d’illustration, reconduisant sous diverses formes les valeurs de l’avant-garde, à une volonté d’analyse historique, en principe moins préoccupée de légitimation culturelle que de compréhension critique.

Mais le symbole demeure : c’est au Château de La Sarraz, le 19 octobre 2006, que fut officiellement célébrée la création des « filières d’étude master Réseau Cinéma CH ».

Le renouvellement présent de l’effort manifesté par les « Documents de cinéma » durant les années 1960 -1980, une période jugée par beaucoup comme l’âge d’or de la Cinémathèque suisse, peut être aussi l’occasion de mesurer à quel point le contexte a changé.

Dans les années 1970-80, les recherches de Hans-Peter Manz, Fritz Güttinger, Ernest Prodolliet, Bruno Edera ou Hervé Dumont sont encore menées en « free lance ». Seuls les travaux de Rémy Pithon s’inscrivent d’emblée dans le cadre universitaire. Leur rôle est capital pour la première génération de chercheurs romands, autant que le fut la persévérance de leur auteur au sein de l’institution pour que soit établie enfin la chaire lausannoise en 1990, une année après l’ouverture du de Zurich.

Dès le milieu des années 1990, les travaux proviennent désormais pour l’essentiel de ce cadre de formation et d’enseignement, auquel s’associent ponctuellement diverses chaires d’histoire contemporaine soucieuses d’aborder l’histoire culturelle en y incluant le phénomène cinématographique -, ou encore une société d’histoire comme la SVHA, éditrice de la Revue historique vaudoise (voir les livraisons de 1996 et de 2007), dont les auteurs proviennent du vivier universitaire.

Dernier élément en date de cette évolution, dont la production d’une demi-douzaine de thèses marque aujourd’hui un degré d’accomplissement institutionnel certain : l’option Archives du master cinéma. Cet enseignement modeste – trois modules - délivre depuis 2007 une formation méthodologique unique dans le domaine universitaire francophone. Il représente la contribution principale de la Cinémathèque suisse au Réseau cinéma.

La conservation matérielle, l’analyse des sources non-film et la mise en valeur de l’archive filmique y font l’objet d’une approche théorique et pratique, dont certains aspects transparaissent déjà dans les diverses contributions que l’on peut lire ici.

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Explorer le patrimoine

Raymond Borde, fondateur de la Cinémathèque de Toulouse, auteur d’un livre sur Les Cinémathèques paru en 1983 à L’Âge d’homme (Lausanne), appelait de ses vœux l’intervention au sein des archives d’« explorateurs du patrimoine ».

Complémentaires de Sortie du labo, les dossiers que l’on lira sous cette rubrique explorent les fonds de la Cinémathèque suisse. Ils en exploitent la richesse et la variété, au gré de la programmation ou selon les intérêts particuliers manifestés par les collaborateurs de l’institution et par les chercheurs.

La reprise en 2010 d’une activité éditoriale sous la dénomination « Documents de cinéma » ne saurait tomber mieux, puisque cette année marque le soixantième anniversaire de l’inauguration officielle de la Cinémathèque suisse, le 4 novembre 1950.

La rédaction
octobre 2010 / avril 2011

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